La pluie, météore ordinaire, a souvent mauvaise réputation : elle assiège l’horizon d’un voile gris-noir, vide les lieux, et pousse au refuge. La pluie contraint, limite, et importune. Le monde du cinéma accueille difficilement cet aléa météorologique qui perturbe les plans de tournage. Le plus souvent, les cinéastes font parader la pluie pour engendrer chez le spectateur un sentiment de tristesse, pour ponctuer une narration ou charger l’atmosphère d’une dimension tragique. Il s’agira dans cet essai de dépasser le seul constat climatologique d’un Il pleut dans l’histoire, de questionner des images de pluie qui l’emportent sur la simple « fioriture » atmosphérique et qui combattent les clichés. Béla Tarr, Andreï Tarkovski, Naomi Kawase, Joris Ivens, Brillante Mendoza, William Wellman ou encore Akira Kurosawa ont su donner à la pluie une estime, un espace, une temporalité. Dans leurs films, la pluie n’est pas simplement un ruissellement décoratif qui emplit le cadre. La pluie y est un motif, une figure vivante qui dynamise l’espace cinématographique. Elle s’y propage tel un courant, un flot, un flux, une énergie physique ; elle stimule, accroche, ralentit ou déstabilise le récit par sa vitalité. Ces pluies affinent la perception des lieux, des paysages, et remuent, selon leurs caractères calmes, violents, passagers ou durables, l’existence des hommes.
Corinne Maury est maître de conférences en histoire et esthétique du cinéma à l'Université de Toulouse II – Le Mirail. Elle a enseignée pendant plusieurs années l’esthétique du cinéma au Quai – École supérieure d'art de Mulhouse. Elle a notamment publié Habiter le monde. Éloge du poétique dans le cinéma du réel (Yellow Now / Côté cinéma, 2011) et Les Antichambres (avec la photographe Anne Immelé. Filigranes, 2009).
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