En 1961, Jean-Paul Sartre est invité à Rome par l’Institut Gramsci pour discuter avec les principaux intellectuels communistes italiens de l’époque, à la suite de la parution de Critique de la raison dialectique. Cette conférence permet à Sartre de clarifier un problème qui le hante depuis les années 1930, celui de la connaissance de la subjectivité, et de rendre plus explicite l’unité de son oeuvre, entre sa période phénoménologique ou existentialiste, dont L’être et le néant constitue le point culminant, et sa période marxiste. Sartre s’attaque d’un côté au « subjectivisme », qui assimile le sujet à la conscience qu’il a de lui-même, et surtout à l’« objectivisme », vulgate du matérialisme dialectique, qui ne voit dans la subjectivité que le « reflet » ou l’« expression » d’une position de classe, dissout le subjectif dans l’objectif et réduit les êtres humains au statut de personnages inconsistants, incarnant sous des visages divers de grandes structures impersonnelles. Sartre veut au contraire montrer comment la subjectivité est indispensable à la connaissance du social, et part d’un postulat exactement inverse à celui de Georg Lukács : il n’y a que des êtres humains. On retrouve ici sa méthode caractéristique, consistant à serrer son objet au plus près, à travers des analyses de cas. Saisir la subjectivité, c’est comprendre comment l’extériorité, les conditions objectives sont intériorisées et vécues, et c’est aussi se rendre capable d’expliquer comment peuvent se constituer des formes de praxis collectives. La subjectivité est un « universel singulier », mue par l’histoire et structure indispensable de l’histoire, au sens où elle est invention, production de possibles.

Jean-Paul Sartre (1905-1980) était un philosophe, dramaturge et romancier. Il est l’auteur de L’Être et le néant (1943), de Critique de la raison dialectique (1960) et de L’Idiot de la famille (1971-1972).