La question que pose La Totalité comme complot, texte-culte de l’auteur est : comment produire une « cartographie cognitive » de l’imaginaire contemporain ? Et, dans un moment historique de fragmentation sociale sans précédent, comment penser le collectif ou la totalité ? Cet essai de Fredric Jameson constitue une exploration inédite de ces questions cruciales, en proposant une interprétation « allégorique » du film de complot : Jameson n’entend pas déceler dans ce genre des intentions cachées ni en livrer une simple analyse esthétique, mais au contraire démontrer comment un inconscient politique y est à l’oeuvre, un inconscient paranoïaque articulé sur l’effondrement de la division entre sphère publique et vie privée ; désormais le politique s’est désolidarisé de la politique, des élites et du gouvernement, pour se diffuser dans l’ensemble du corps social sous la forme d’une bureaucratie infinie, invisible et sans visage. Si cette omniprésence du politique est pour partie le produit des divers mouvements sociaux des années soixante et soixante-dix ainsi que celui des multiples crises qu’ont connu les États-Unis à la même époque (assassinat de Kennedy, Vietnam, affaire du Watergate), pour Jameson ce sont avant tout les nouvelles technologies de l’information qui ont constitué le véhicule et le facteur essentiel de cette mutation (l’assassinat de Kennedy représentant le premier moment où le médium de l’image est devenu constitutif de l’événement politique). Publié en 1992, juste après la première guerre du Golfe, ce texte de Jameson offre donc une analyse pionnière de l’émergence d’un noeud politico-médiatique que rien, et surtout pas les récents événements géopolitiques, n’est venu démentir.