Treize ans séparent Holy Motors, le cinquième long métrage de Leos Carax, du précédent. Plus qu’un retour, Holy Motors poursuit ce que Carax avait déjà entrepris avec ses autres films : rien moins que de retraverser le cinéma, en actualisant sa force primitive, pour filmer ici et maintenant. On pourrait résumer autrement cette trajectoire, en reprenant ses propres mots sur un autre cinéaste, à une façon que ses films inventent « de se tenir droit debout sur le fil vacillant qui relie leur auteur, ses peines et ses lumières, aux peines et aux lumières du monde alentour. »
Holy Motors a surgi de l’état contemporain du monde et du cinéma. Il en est le symptôme, le constat, la critique et leur dépassement. La suite échevelée de fictions qu’il amorce puis abandonne avec M. Oscar, son personnage transformiste, tire sa substance de notre tumulte quotidien, tout à la fois électrisant et épuisant. Comment Carax a-t-il condensé cette expérience plurielle et chaotique très actuelle
Cet essai entreprend Holy Motors successivement par trois versants qui lui donnent ses formes nouvelles : l’abandon du récit pour des bribes éparses de fictions, aux rengaines déjà jouées, que le film fait délirer, la condition éternellement mutante, hésitant entre virtualité et actualité, de celui qui y agit et les subit ensemble, et la dissolution de l’un dans le multiple, qui dilapide le point de vue en même temps que le sens et la destination des actes comme du film.