Voir l'Homme d'Aran (1936), c'est faire une expérience doublement fictive, celle qu'offre le cinéma et celle que constitue toute virée sur une île. Le film nous fait pénétrer dans un temps et un lieu hantés par les mythes : ceux des origines et de la fin des temps, celui d'une lutte impitoyable entre des humains issus d'un monde adamique et un océan doté de pouvoirs tout puissants. Grâce aux plans sidérants de Robert Flaherty filmant quelques marins perdus dans les flots déchaînés, l'univers grandiose que constitue Inis Mor, une des trois îles situées à l'ouest de Galway (Irlande), se charge d'une intensité tragique. Ce film inclassable est le fruit de la rencontre d'un cinéaste lyrique avec une communauté prête à prendre tous les risques pour quelques miettes d'éternité. L'étude des méthodes novatrices du tournage et l'analyse de ses partis pris esthétiques, mêlant documentaire et fiction, nous permettent de mieux saisir la conjonction singulière qui s'y dessine entre mythe, île et cinéma.
Frédéric Sabouraud, ancien membre du comité de rédaction des Cahiers du cinéma, écrit régulièrement dans les revues Trafic et Images documentaires. Il est maître de conférences à l'Ecole nationale supérieure Louis Lumière où il enseigne une approche pratique et théorique du cinéma documentaire et donne des cours de méthodologie. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : Depardon Cinéma, coécrit avec Raymond Depardon ; l'Adoption ; Abbas Kiarostami, le cinéma revisité.
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